Le cormoran et le bar*

L'autre jour, au détour d’une flânerie près du port, un éclat noir a fendu l’air : un cormoran, surgissant des profondeurs, un bar frémissant dans le bec.

L’eau est trouble, souillée, mais l’oiseau s’en moque. Il chasse, il vit, il nargue son monde.

Sa prise encore vive se débat faiblement. On dit qu'elle frétille. Mais lui, impassible, me fixe. Est-ce de l’orgueil dans ses yeux ? Une bravade muette ? Ou simplement la lente jouissance du moment ?

Je sors mon téléphone, maladroit, presque en suppliant.

Il ne se hâte pas. Je pense qu'il a compris. Il a peut-être l'habitude avec cette foule de touristes omniprésents. Il suspend l’instant. Comme s’il savait que ce spectacle, simple et cruel, portait en lui une vérité. Sauvage ou naturelle, c'est selon.

Le bar, chasseur devenu soudainement proie, est pris dans le piège d’un maître plus rusé et plus fort. Et moi, simple témoin de passage, je grave dans ma mémoire quelques images avant que la vie ne reprenne son cours. Le cormoran me laisse tranquillement prendre quelques clichés avant d’engloutir son repas. C'est à ce moment que l'instant poétique prend brutalement fin.

* Pour Meriem, à l'occasion de son anniversaire.