Je n’ai jamais gardé de troupeaux,
Mais c’est vraiment tout comme.
Mon âme ressemble à un berger,
Elle connaît le vent et le soleil
Et marche la main dans la main avec les Saisons,
Poursuivant son chemin et regardant.
Toute la Paix de la Nature sans les hommes
Vient s’asseoir auprès de moi.
Mais je suis triste comme l’est un coucher de soleil
Pour notre imagination,
Lorsqu’au fond de la plaine le temps fraîchit
Et que l’on sent la nuit entrer
Je suis un gardeur de troupeaux.
Le troupeau ce sont mes pensées
Et mes pensées sont toutes des sensations.
Je pense avec les yeux et les oreilles
Et avec les mains et avec les pieds
Et avec le nez et avec la bouche.
Penser une fleur c'est la voir et la respirer
Et manger un fruit c'est en savoir le sens.
C'est pourquoi lorsque par un jour de chaleur
Je me sens triste d'en jouir à ce point,
Et couche de tout mon long dans l'herbe,
Et ferme mes yeux brûlants,
Je sens tout mon corps couché dans la réalité,
Je sais la vérité et je suis heureux.
Fernando Pessoa (1888-1935)
Le Gardeur de troupeaux et autres poèmes d'Alberto Caeiro