Ce jour-là, j’ai compris ce qu’enseigner veut dire

Des professeurs qui m'ont marqué, il y en a eu beaucoup. Certains me laissent un bon souvenir ; d'autres, en revanche, ne méritent même pas qu’on s’attarde sur eux. Leurs défauts ? Un tribalisme et un sectarisme à peine voilés - oui, vous avez bien lu -, qui prenaient souvent la forme d’humiliations sournoises, suffisamment perfides pour vous dégoûter de toute envie d’apprendre. Pour des raisons aussi mesquines que l’origine villageoise ou le statut social. Passons.

Aujourd’hui, j’ai plutôt envie de rendre hommage aux meilleurs. Et ils furent nombreux. De loin les plus nombreux. Ceux qui, avec générosité et rigueur, nous ont transmis les langues étrangères, le savoir, les sciences, les valeurs humaines… et bien plus encore.

À travers le souvenir de M. Mokrane T., professeur de français au collège, j’aimerais saluer toutes celles et ceux qui ont su honorer leur mission. Mokrane T. était un homme discret, affable, peu bavard, mais redoutablement efficace. Il parlait peu, mais agissait avec rigueur et méthode. J’avais alors 16 ans.

Un jour, il nous demanda de rédiger un court paragraphe sur une scène d’injustice à laquelle nous aurions assisté. Le devoir était à rendre la semaine suivante.

Le jour J, comme à mon habitude, j’arrivai devant l’établissement bien en avance. Nous aimions nous retrouver tôt le matin : pour plaisanter, échanger, finir nos devoirs ensemble. C’est là qu’Ali, un camarade un peu paresseux mais toujours curieux d'apprendre, me demanda de voir ma copie. Il fut stupéfait d’apprendre que je n’avais rien préparé. Moi, l’élève appliqué, toujours à jour ? J’avais tout simplement oublié.

Je courus aussitôt à la maison, pris un livre d’un auteur espagnol que j’avais lu récemment, qui racontait une injustice subie par des habitants d’un village ibérique autour d’un point d’eau. Je recopiai à la hâte un passage entier, revins en courant, heureux comme un vainqueur. Un véritable marathon.

En classe, l’air de rien, fier de ma "prouesse", je remis ma copie à mon professeur.

Quinze jours plus tard, il nous rendit nos devoirs. J’avais obtenu 16/20. En bas de ma feuille, souligné en rouge : le nom de l’auteur et le titre du roman : Terre maudite, Blasco Ibanez. C'était tout. Jamais il n'en parla, ni en public ni en privé.

Sur le moment, je n’avais pas bien compris. Pris en flagrant délit de plagiat, je n'avais reçu aucun châtiment ni une quelconque réprimande. Mieux encore; j’avais droit à l’une des meilleures notes de la classe. J’en ai tiré une leçon de vie, profonde et durable.

Quand je racontai l’anecdote à mon grand frère, amoureux de littérature devant l’éternel, il se contenta de dire : " Tu as eu affaire à un grand Monsieur, à plus d'un titre."

D’autres enseignants ont également marqué mon parcours de leur empreinte. C’est toujours avec une certaine émotion que je repense à eux. Il y avait Monsieur B., professeur d’anglais originaire de Taguemount Azouz, qui savait toujours tirer le meilleur de moi ; Monsieur O. un professeur de mathématiques des Ouacifs, guitariste à ses heures perdues, d’un sens pédagogique remarquable, qui avait su nous réconcilier avec les chiffres et les figures géométriques ; Mme M., une Kabyle d’origine anglaise, rigoureuse et exigeante, qui ne laissait rien au hasard ; et Monsieur B., enseignant d’arabe venu de Draa-El-Mizan, qui nous avait fait aimer cette langue bien plus que ne l’avaient jamais fait toute une ribambelle d’Égyptiens ou de Palestiniens.

Et puis il y avait K.D., professeure de français à Micli, dont j’étais secrètement amoureux. Elle avait su gérer cela avec un tact et une élégance rares, et je lui dois en partie le niveau de langue que j’ai atteint.

Et j’en oublie, forcément.