" Ce n'est pas la joie de faire le rabat-joie dans un pays de certitudes et de faux-semblants" Boualem Sansal.
Comment inventer une nouvelle sociologie de l'organisation.
L'année 2012, déclarée année des coopératives par l'Organisation des Nations Unies, a débuté. Dans notre région, malgré ses multiples atouts, nous nous enfonçons dans une économie de subsistance, vivant dans le dénuement. Les récentes chutes de neige ont mis en lumière les conséquences désastreuses pour la vie des montagnards.
Contrairement aux idées reçues, les coopératives ne sont pas des vestiges pervers et dépassés de la période du parti unique et de l'économie planifiée. Elles représentent au contraire une méthode d'organisation efficace et moderne, reposant sur l'engagement de chacun, ainsi que sur un fort sens du partage (partage du temps, des ressources financières, matérielles, humaines et des expériences). Lorsque nous disposons de richesses inexploitées, qu'elles soient naturelles ou humaines, et que nos capacités individuelles sont limitées, nous nous regroupons en petites communautés, selon nos affinités et intérêts, afin d'exploiter au mieux ces ressources, pour notre bénéfice individuel et collectif, et pour favoriser le progrès de la société.
Nous sommes confrontés à de nombreux défis dans notre région. Nous avons les compétences et les capacités pour y faire face, mais pour des raisons diverses, nous ne sommes pas à la hauteur de ces défis. Le fatalisme, tel une maladie silencieuse, mine notre volonté et nous laisse sans force, spectateurs passifs des événements, incapables d'agir. La conscience, bien que souvent évoquée par les philosophes et penseurs, n'est malheureusement pas un concept courant parmi nous. La désillusion est telle que nous acceptons tout sans réfléchir, comme si notre histoire tumultueuse n'avait rien à nous enseigner pour éclairer notre chemin. Dans ce contexte, la sociologie n'a que peu évolué depuis le siècle dernier, ce qui explique peut-être pourquoi n'importe qui peut être désigné pour représenter la cité, même lors de débats nationaux ou internationaux. De même, il n'est pas rare de voir des personnes sans scrupules s'en prendre à nos artistes respectés ou usurper des responsabilités politiques. Cette situation semble être une lutte perpétuelle où l'intérêt général est souvent ignoré.
Que reste-t-il de nos comités de village ? Souvent transformés en bastions claniques ou tribaux, ils sont les vecteurs de notre défaite et de notre sous-développement, parfois encouragés par des individus influents qui y trouvent leur propre intérêt.
Ces méthodes dépassées, fondées sur une solidarité aveugle envers les membres du groupe, sont sévèrement critiquées par nos intellectuels, mais continuent de nuire à nos efforts de cohésion et de développement. En conséquence, les paradoxes et les divisions sont monnaie courante, ajoutés aux entraves organisées par les autorités publiques, cela mène à une impasse collective.
Nous devons tous nous opposer à ces forces archaïques qui entravent tout projet d'émancipation, si nous voulons réaliser nos rêves sur la terre de nos ancêtres. Comment ? En pensant par nous-mêmes, sans délégation, et en agissant en accord avec nos propres pensées.
Le monde associatif et l'immigration pour rêver.
Au sein de la diaspora, autrefois un bastion d'espoir, la situation n'est guère plus encourageante. Les comités établis dans les années 1920, prolongements logiques des comités de village kabyles, sont restés figés dans leur fonctionnement du début du siècle dernier. Ces comités, souvent réunis dans les cafés tenus par nos compatriotes, ont résisté à tous les changements sociaux en Algérie et n'ont pas évolué malgré les avancées technologiques et les transformations mondiales dues aux télécommunications. Près d'un siècle après leur création, ils se contentent toujours d'assumer un rôle secondaire de collecte de fonds pour le rapatriement des défunts vers leur pays d'origine, une tâche qu'un simple assureur pourrait aisément accomplir moyennant une petite cotisation.
Organiser une fois par an un festin et inviter les villageois à partager une offrande généreuse peut sembler louable, mais cela ne suffit plus. Les habitants ont besoin de projets collectifs et durables qui garantissent leur bien-être quotidien. Il est insuffisant de vivre dans le confort toute l'année et de ne partager ce confort avec nos compatriotes que pendant un jour, voire un mois dans le meilleur des cas.
Quant aux associations, dirigées souvent par des personnes instruites, elles se contentent de célébrer deux dates depuis le Printemps berbère : le 20 avril et Yennayer, autour d'un éternel couscous accompagné d'un verre de vin, suivi d'un gala artistique. Leur seul mérite avancé est de cultiver la mémoire et de préserver les traditions. Cependant, cette mémoire est altérée. Trente ans de routine culturelle ont finalement dissipé les illusions et nous ont ramenés à une réalité désolante. Malgré tout, il convient de reconnaître qu'il existe des collectifs courageux qui remettent en question cette approche stérile en proposant des moments de réflexion et en traçant des perspectives nouvelles. Leur travail mérite d'être salué, car ils ont démontré à maintes reprises que toute action visant le changement dans la société est fondamentalement liée à la culture.
La culture, un concept central qui imprègne chaque aspect de notre quotidien, a malheureusement été réduite à sa plus simple expression.
Tout ce qui brille n'est pas or.
Par exemple, plutôt que de nous épuiser inutilement à reproduire aveuglément de vieilles traditions occidentales, pensant naïvement ou par calcul qu'elles incarnent la modernité ou une culture quelconque, je vous propose de réfléchir à la création d'un concours visant à élire le plus beau âne du Djurdjura. Ne sommes-nous pas d'accord que l'âne, bien avant le chien, est l'animal le plus dévoué et fidèle des Kabyles et des peuples méditerranéens ? N'est-ce pas grâce à ce quadrupède que nous avons bâti nos milliers de villages ? Comme l'a souligné feu Matoub Lounès, ce magnifique animal ne nous a-t-il pas permis, pendant des siècles, de vivre en harmonie avec notre environnement ? N'est-il pas, à l'image du montagnard, un travailleur infatigable, humble, courageux, patient et endurant ?
Si nous revendiquons haut et fort notre droit à vivre dans la modernité, nous devons rester vigilants quant à son contenu. Nous sommes fermement opposés à toute forme de régression, mais nous ne sommes pas non plus prêts à accepter n'importe quoi sous prétexte d'un emballage moderne et clinquant. La pensée occidentale peut nous inspirer, mais elle ne doit en aucun cas nous dicter nos choix.
Nous sommes en l'an 12 du vingt-et-unième siècle. Jamais la Kabylie et ses habitants n'ont autant régressé que ces dernières années. Cependant, face à la situation mondiale, nous pouvons peut-être prendre les choses en main pour créer les conditions d'une société épanouie, en maîtrisant nécessairement notre quotidien et notre destin. Une société où les charlatans et autres manipulateurs, bien de chez nous et non d'ailleurs, ainsi que ces faux amis qui nous encouragent dans notre fuite en avant, seront exclus. Une société où ils ne trouveront plus les conditions idéales pour exploiter notre générosité sans limite.
Nous étions passés sous les fourches caudines du FMI il y a 20 ans. L'humiliation a-t-elle pris fin pour autant?
Les Algériens en général, et les Kabyles en particulier, ont consenti tous les sacrifices possibles et imaginables. Et quel a été le résultat ? Bien moins que ce à quoi ils pouvaient légitimement s'attendre. Cependant, il est légitime de leur part d'espérer un retour sur investissement. Mais face au retard pris par celui-ci, bloqué au sommet de l'État, les citoyens sont en droit de prendre en main leur destin en dehors des schémas officiels.
Alors que les systèmes économiques et les idéologies s'effondrent et font faillite, et alors qu'il est prouvé qu'il n'y a ni peuple plus intelligent qu'un autre, ni civilisation plus avancée, ni organisation sociale meilleure que d'autres, nous avons raison d'espérer qu'un réveil se produise enfin. Il est de notre devoir à tous d'oser façonner notre avenir sans prétendre détenir une vérité absolue. Notre force réside en nous-mêmes, et la différence entre les peuples de la terre réside dans leur relation au travail et dans la qualité de la réflexion qu'ils mènent chaque jour.
Ainsi, engageons-nous dans l'action ! Créons des banques de semences, des institutions de crédit, des systèmes d'échange de temps, et toutes sortes de coopératives ! Soutenons ceux qui proposent des idées novatrices et empruntons des chemins inexplorés, même si nous ne partageons pas nécessairement leurs idées ou n'avons pas de liens directs avec eux.
En effet, qui pourrait mieux que nos élites intellectuelles et financières, ainsi que notre diaspora, jouer le rôle de catalyseur pour propulser la Kabylie vers de nouvelles perspectives innovantes ?