Les atteintes à l'environnement observées autour du Djurdjura se situent à différents niveaux, et leur degré de dangerosité est par conséquent inégal. À notre modeste place d'observateurs, nous ne sommes pas en mesure de dire si la situation est réellement catastrophique ou rester sereins en relativisant. Tous nos contacts et amis ont un avis partagé là-dessus. Qu'en est-il vraiment sur le terrain?
Les pollutions
Il y a d'abord la pollution créée par le premier cercle: il s'agit de toutes sortes d'atteintes à l'environnement, volontaires et irresponsables, dont le coupable est le commun des mortels, simple citoyen, habitant ou visiteur d'un jour, qui n'est toujours pas convaincu que jeter un sachet plastique dans la nature, par exemple, est préjudiciable. Il y a ensuite le braconnier qui, pour faire quelques petits bénéfices ( ou économies ) coupe et vole du bois illégalement ou chasse l'animal sauvage pour le revendre ou le consommer. Nous trouverons aussi l'inconscient qui défriche en incendiant les maquis pour gagner des terrains et qui rejette avec ses eaux usées, dans les cours d'eau, divers produits chimiques et autres huiles nocives. Et, pour finir, l'oisif qui, ne sachant rien faire de ses journées, passe son temps à se conduire comme aux temps des vandales, arrachant une branche par ci et fracassant une bouteille de bière par là. Cette pollution que nous venons de décrire, malgré les proportions qu'elle prend, reste gérable et réparable. C'est le rôle des écoles en sus de tout programme officiel, des parents et des adultes s'agissant des enfants, c'est aussi le rôle des municipalités et surtout des associations quand nous avons à faire avec les autres enfants, les plus âgés.
Il y a ensuite la pollution induite par le second cercle, qu'on devine à peine, et dont le Djurdjura souffre grandement : la proximité d'une ville aussi polluée qu'Alger avec ses extensions industrielles et urbaines sur toute la Mitidja, de Boudouaou jusqu'à El-Affroun. La croissance sauvage, tous azimuts, de centres urbains à l'exemple de Tizi-Ouzou, Béjaïa et Sétif, qui n'est pas sans conséquences sur les émissions de CO2 et la production de déchets du BTP. Les rejets des usines dont les installations ne sont que peu aux normes, un parc automobile hautement polluant à cause de prix de carburants parmi les moins chers au monde, un manque flagrant de stations d'épuration des eaux usées, de centres d'enfouissement des déchets domestiques, et l'absence de filières de traitement des déchets industriels et hospitaliers. C'est une pollution lourde que le Djurdjura subit de plein fouet, sans que ses habitants ne soient responsables en aucune manière que ce soit. Pour y remédier, il nous faut une approche nationale et citoyenne qui verrait la participation d'un état fort, volontaire, conscient des problèmes et de leurs conséquences sur la santé publique, des industriels et des agriculteurs consciencieux, impliqués, ainsi qu'une société civile organisée en véritable lobby, loin de tout calcul et de toute lutte politicienne. Tout ce beau monde, dans une démarche qui tendrait vers les mêmes objectifs, saurait en venir à bout. Là aussi, la pollution induite par le second cercle, peut-être gérée durablement et même endiguée, moyennant la conjugaison de tous les efforts, comme nous venons de le dire.
Il y a enfin la pollution causée par les bouleversements climatiques mondiaux, qui ne peut qu'avoir des incidences sur le Djurdjura, comme sur toutes les montagnes du mondes. Les catastrophes se suivent - le nuage nucléaire de Fukushima n'a mis que 15 jours pour parvenir en Europe, débarassé de ses particules radioactives, nous dit-on- et les dégâts sont incommensurable. Sommes-nous impuissants face à ces calamités qui nous viennent d'ailleurs, de l'hémisphère nord en particulier? Il faut d'abord savoir que les états démocratiques et les sociétés civiles n'ont pas encore abdiqué, quand bien même la situation est complexe et les intérêts gigantesques. Des combats sans merci sont menés tous les jours et au stade où nous sommes, rien ne dit que la cause est déjà perdue. Nous pouvons, pour faire changer les choses, nous joindre à ces mouvements de protestation organisés en ONG internationales. Comment? En nous organisant d'abord chez-nous en forces de propositions et en nous impliquant constamment sur le terrain. Il nous faut aussi jeter des ponts au delà de nos proches horizons, afin de nous alimenter à d'autres sources d'information, nous inspirer d'autres expériences réussies. Nous faisons partie de ce monde, et nous ne pourrons rester indifférents ni au sort de celui-ci ni à ce qui se passe autour de nous.
Les différents acteurs, leurs rôles respectifs et les perspectives
- L'Etat: En plus de son rôle de régulateur et d'arbitre, l'état doit rester à l'avant garde des innovations et de la recherche dans un but de développement socio-économique des habitants des montagnes. Comment? En créant une structure comme un institut national de développement des montagnes, dans le seul but de réfléchir, de mener des expériences et de proposer des alternatives de développement en symbiose avec les impératifs écologiques, afin d'amener les montagnards, progressivement, à vivre de leurs activités pastorales, agricoles et artisanales sans remettre en cause le fragile équilibre environnemental. Une structure capable de proposer une démarche originale pour la création de plusieurs filières économico-commerciales, qui tienne compte des incidences collatérales. C'est une mission régalienne que seul un budget de l'état est en mesure d'assumer.
- Les professionnels: Puisque les terres arables son bétonnées, à l'exemple de la mitidja dont nous parlions plus haut, pensons à introduire l'agriculture dans les villes, en investissant tous les lopins, les bandes de terres, et les terrains vagues in-incorporés dans les plans de nos architectes, non pris en charge par les aménageurs de nos quartiers, et qui ne font qu'enlaidir nos cités. Ainsi nous en ferons des oasis de verdure agréables au regard, capables de produire fruits et légumes au milieu des centres urbains. Tout le monde pourrait s'investir dans ces chantiers: les habitants des quartiers, les chefs d'entreprises, les élus, les associations...etc
Les fellahs, quant à eux, doivent renoncer d'eux-mêmes au tout phytosanitaire car il y a des alternatives tout aussi efficaces et moins coûteuses. Mais pour ce faire, ils doivent d'abord aller les chercher et les mettre à l'essai. Comme ils doivent renoncer à certaines méthodes culturales en engageant une réflexion de fond sur la pratique agricole en Algérie. C'est aussi le rôle des corporations et autres syndicats agricoles.
Les industriels et les entrepreneurs qui sont pollueurs, s'ils sont incapables d'y mettre fin, doivent mettre la main à la poche sans qu'ils y voient une quelconque contrainte, en êtres civilisés, pour aider les associations qui se consacrent à l'environnement ou financer de micro- projets dans le développement durable, comme créer des réservoirs d'eau collectifs en récupérant les eaux de pluie, mettre en place des centres de vacances ludiques autour de l'environnement pour les écoliers...
- Les associations
Les associations qui ont pour objectif lointain, de faire de nos chers sommets des sites touristiques à l'image de ceux qui se trouvent dans les Alpes, ne sont pas sur la bonne voie. Le développement qu'ont connu ces montagnes européennes n'est pas l'exemple à suivre pour la simple raison qu'il n'a obéi qu'à une démarche commerciale, dans une logique de rentabilité et de bas profit, où, de nos jours, les classes populaires ne peuvent y avoir accès, sans être subventionnées. Le développement s'est effectué, durant de longues années, sans tenir compte des menaces et dangers qu'on faisait peser sur la biodiversité. Dans le Djurdjura, il faut savoir mettre des limites à tout projet de développement en tenant compte seulement des réelles capacités d'accueil, quitte à y réguler l'accès, non pas en fonction des moyens des citoyens, mais du nombre de visiteurs.
Mais le rôle des associations est d'abord de vulgariser la montagne, en faisant participer un maximum de gens à leurs activités. Les citoyens respecteront mieux la montagne quand elle leur sera expliquée et quand elle aura moins de secrets pour eux. L'autre rôle des associations, c'est aussi de lancer des initiatives quand il est observé une carence ou une défaillance des structures de l'état ( l'état ne peut pas tout faire, hélas!), et l'une de leurs plus importantes obligations, c'est d'organiser un état de veille permanent, d'observer, de noter, et de faire des propositions. Car les associations sont l'oeil et le prolongement des structures l'état, là où elles ne sont pas présentes ou n'y ont pas accès.
- Les particuliers:
Le Djurdjura a cette chance, depuis toujours, de pouvoir compter parmi ses enfants et ses amis, des acteurs indéniables du développement durable, qui se démènent comme ils peuvent pour en garder intacts, et sa beauté et sa richesse. Seulement, il est dommage de constater que les expériences qui ont été menées dans le Djurdjura par ces nombreux acteurs, durant de longues années, ont rarement laissé de traces. Nous sommes au 21ème siècle mais nous demeurons fondamentalement une société orale, qui a rarement recours à l'écrit. À quoi nous sert-il de tenter des recherches, des innovations, des aventures, si tout n'est pas annoté et consigné pour que chaque génération puisse relancer le travail sur la base d'acquis certains, et ne pas recommencer à chaque fois de zéro? Hormis les tentatives de Mohamed Tabèche ( un ancien du SCAY ) et de Mohand Amrane Yaker ( un ancien de Monta Club ), qui ont pris l'initiative, louable, à travers un blog pour l'un et un livre pour l'autre, de parler dans le but de partager de ce qu'ils ont appris au fil du temps sur le Djurdjura, de leur relation particulière à cette montagne, les jeunes militants associatifs d'aujourd'hui, trouvent rarement la documentation nécessaire à la poursuite du chemin.
Chaque individu peut être un acteur de l'environnement dans le Djurdjura. Son premier devoir est ne pas porter atteinte à la nature. Son second devoir est de réparer les dégâts dont souffre la nature, à cause du comportement de ses semblables.
Quant à son droit sur cette montagne, il est multiple: il peut s'adonner à la pratique d'un sport de montagne dans un cadre associatif, se laisser aller à sa passion de photographe ou de documentaliste, inviter ses amis pour une promenade didactique, se baigner dans ses cours d'eau quand c'est autorisé, y puiser de l'eau pour sa consommation ou son jardin...etc