Depuis quelques années, les Kabyles du Djurdjura remettent au goût du jour certaines festivités dites païennes, mais considérées comme religieuses et mystiques par d'autres. Ils le font d'abord parce qu'ils en ressentent la nécessité, et ensuite pour en faire des marqueurs identitaires autour desquels se cristallisent des activités culturelles et touristiques, et donc fatalement socio-économiques. À l'heure où notre région fait face à une disette organisée par les plus hautes instances du pays dans le seul but de nous asphyxier économiquement, ceci afin de nous faire payer notre résistance à toute stratégie d'acculturation et de nous pousser à renoncer définitivement à nos traits de personnalité réfractaires à tout autoritarisme, cet isolement, qui dure depuis 1999, loin de produire les effets escomptés, ne fait que renforcer notre résilience.
Envisageant les choses autrement, les montagnards que nous sommes ont décidé de se prendre en charge totalement, malgré les difficultés de toutes sortes. Dans plusieurs décennies, les générations futures pourraient dire de notre époque : "À quelque chose malheur est bon". Ce regain de vitalité et d'inventivité est une très bonne chose en soi, et nous encourageons tous les villages à redécouvrir et revitaliser ces rendez-vous populaires qui permettent aux Algériens de se retrouver, de faire la fête et de commercer.
C'est dans cet esprit que s'inscrivent "Tiregwa" des Aït-Ouabane, Tafaska n Wedrar à Tala n'Tazert, le pèlerinage de Tala Rana et la procession d'Azrou n'Thor, pour ne citer que ces quatre cérémonies emblématiques. Nous avons décidé d'en parler cette année dans l'ordre calendaire de leur déroulement, afin de contribuer à établir des habitudes saines et pérennes qui, à leur tour, revitaliseront un pan entier de notre culture ancestrale et notre économie régionale.
Les gens d'Aït-Ouabane, au cœur du Djurdjura, ont été parmi les premiers à y réfléchir. Ils ont décidé de recommencer à honorer le saint local, Sidi Hend Amrane, en organisant un rituel sacrificiel de bovins, coïncidant avec l'ouverture annuelle des amenées d'eau naturelles. Ce rituel servait autrefois à la réparation et au renforcement des rigoles pour permettre à l'eau précieuse de circuler à travers les ruelles du village, assurant l'irrigation de tous les potagers avec une répartition équitable entre les habitants. Ce cérémonial se déroule les premières semaines du printemps, généralement sèches et marquées par un déficit pluviométrique, préjudiciable au moment critique de la floraison des arbres fruitiers.
Bien que cette action soit symbolique pour le moment, les jardins familiaux en Kabylie étant peu cultivés de nos jours, il est probable que cela inspirera un jour des jeunes, en proie au chômage, à créer de petites entreprises artisanales, agricoles, végétales et ornementales.
Les organisateurs de cette rencontre annuelle doivent également réfléchir à un plan de communication moderne, en associant les acteurs économiques de la région, afin de mieux faire connaître cette fête traditionnelle. Il est également de leur devoir de penser à organiser toutes les activités connexes de manière structurée, afin d'éviter l'anarchie que nous avons souvent constatée jusqu'à présent.
Finalement, c'est la meilleure réponse, peut-être la seule, à donner à cet État qui ne veut pas de ses citoyens, un État condamné à faire du surplace et à s'effriter dangereusement.