Dans mon précédent article, j'avais dit que d'un point de vue altimétrique, l'étage nival n'existe pas dans le Djurdjura et pour cause, cet étage n'étant situé qu'à partir de 3000 m. Ce qui n'est pas le cas au regard de sa structure, de sa morphologie et de son climat qui en font une montagne alpine. Les nombreux avens ( tisrafin) permettent de maintenir actifs nombre de névés jusqu'au milieu de l'automne qui correspond à la période des premières précipitations, après les longs mois secs de l'été. Cette particularité de nos montagnes, permet des écoulements sans fin des eaux de ruissellement qui alimentent les sources en aval de façon continue.
Mais il n'y pas que ça. Ce don de la nature permet aussi à des plantes d'imposer leur présence y compris au plus fort des chaleurs estivales sur les contreforts du Djurdjura. Le plus souvent, ces plantes poussent et se développent plus ou moins bien, sans tenir compte de la nature des sols ( leur composition chimique ) où les sels minéraux sont présents dans des proportions différentes d'un endroit à un autre. Ces plantes dites calcicoles trouvent donc un terrain idéal et s'adaptent facilement à nos montagnes faites de calcaire et de dolomite.
Quant à leurs facultés d'adaptation aux multiples agressions, elles sont tout aussi multiples que le sont les attaques que subit l'environnement. Nous savons que les plantes prennent souvent possession, parce que la montagne est soumise constamment à des écarts de température importants, de l'endroit le plus favorable à leur survie ou dans les zones abritées des vents et des rigueurs des intempéries. La plupart de ces plantes, à l'instar du thym, adoptent une position rampante. Si elles agissent ainsi, c'est pour rester au contact du sol qui offre toutes les conditions d'un micro climat et échapper ainsi à la force des éléments ou à l'agression solaire. La neige, contrairement à ce que l'on serait tenté de penser, est protectrice, et c'est à l'abri de cette dernière que les plantes préparent leur réveil au printemps, le froid humide aidant, joue un rôle important dans leur germination.
Autre caractéristique des plantes dans le Djurdjura, c'est la colonisation d'espèces pérennantes et/ou vivaces, qui supportent l'inclémence du temps, surtout en dessous du manteau neigeux. Celles qui sont en forme de coussinet, rampent sur le sol bien arrosé ou irrigué par les ruissellements, issus des différentes sources ou des rares névés qui réussissent à survivre aux hausses de températures. Leur forme leur évite aussi de se dresser face aux vents violents qui balaient régulièrement ces altitudes.
En outre, beaucoup de ces plantes, pour éviter tout risque lié à la dessiccation ( perte de l'eau ) réduisent au maximum leur développement foliaire par où se développe le phénomène d'évapotranspiration. Plus les surfaces des feuilles sont réduites (comme chez les conifères), moins il y a perte d'eau. De même, la présence de poils serrés chez de nombreux végétaux ou d'un duvet épais chez certains autres, notamment chez les Composés, n'ont pas pour rôle la protection contre le froid uniquement, mais leur permettent de lutter contre les radiation nocives des rayons ultra-violets. Cette stratégie de défense contre les rayons solaires, oblige certaines plantes, en plus, à prendre des teintes de différentes couleurs qu'ils étalent jusqu'à leurs tiges. On les retrouve aussi bien dans les pâturages qu'à des endroits inaccessibles comme les falaises. Ces pigmentations augmentent de la même manière la résistance contre le gel.
Comme on le voit, les plantes montagnardes se sont développées et adaptées dans un milieu âpre, grâce à des qualités de résistance et de lutte pour leur survie, qu'on qualifierait d'intelligentes et de stratégiques chez l'être humain.
Voyons maintenant quelle est l'influence réelle des éléments climatiques sur ces plantes, qui créent un jardin édénique, au rendez-vous de chaque printemps.
La végétation sous une couche protectrice
Les précipitations :
Avant d'aborder cette partie consacrée aux précipitations, je crois qu'il est utile de souligner que les services météorologiques algériens ne disposent d'aucune station fiable pour les relevés climatiques de cette région qui, pourtant, est exceptionnelle et d'importance pour l'Algérie, d'un point de vue écologique, économique et stratégique.
Le peu de données qui existent sur le Djurdjura, nous les devons à des chercheurs et jeunes étudiants indépendants et sont rarement exploitables. Il faudra peut-être penser à équiper un certain nombre de sites dans le futur afin que chacun puisse accéder à des informations régulières et sérieuses. Une carte pluviométrique de 1971 ( Chaumont et Paquin ), fait ressortir que les zones situées au niveau de l'étage subalpin ( 1700 m ) reçoivent plus de 2 m de pluies annuellement. L'étage au dessous ( à partir de 1000m ), reçoit quant à lui entre 1200 et 1500 mm d'eau. Une partie importante de ces précipitations, comme nous le savons, se fait sous forme de neige.
Donc, comme nous venons de le voir, plus nous montons en altitude, plus la hauteur de pluie qui tombe est importante. Ceci pour deux raisons : les températures plus basses favorisent la saturation de l'atmosphère et l'air chaud qui remonte des plaines se refroidit à l'approche des sommets, favorisant ainsi la formation de nuages chargés de pluie ( le foehn* ). Si l'excès de précipitations commet des dégâts irréparables sur les plantes, la neige est toujours là pour les en protéger en jouant son rôle de couche protectrice. Selon Braun-Blanquet, botaniste suisse qui a mené plusieurs expériences dans les Alpes, la température sous l'épais manteau blanc est plus clémente qu'en surface, et reste de plusieurs degrés plus élevée qu'à ciel ouvert. Cela permet aux plantes de se développer tranquillement, à l'abri du froid et du gel jusqu'au redoux du printemps. Comme la neige est perméable aux rayons solaires, elle permet aussi à la photosynthèse d'assurer son service minimum, et dès les premiers rais de soleil qui font fondre la neige, les plantes sont éveillées et repartent de plus belle, avec toutes les conditions d'humidité et de luminosité nécessaires. C'est ce qui explique de voir fleurir parfois certains végétaux, dès le commencement du printemps, tel le narcisse jaune (Narcissus pseudonarcissus) qu'on commence à apercevoir aux environs de la mi-mars.
L'équilibre hydrique des plantes est continuellement soumis en montagne à des changements brusques du climat et des températures. D'un instant à l'autre, on peut passer d'un ciel dégagé et ensoleillé à un orage violent, d'un ciel clair à une brume des plus denses, et ce n'est pas sans conséquences sur les mécanismes naturels qui régulent leur transpiration, les obligeant sans cesse à des efforts soutenus pour s'adapter, pour le malheur de certaines d'entre elles qui sont d'un aspect fragile.
Les plantes ont de très grandes capacités d'adaptation
L'ensoleillement :
Le soleil tape fort en haute montagne. Ceci est préjudiciable aux plantes. Cette grande intensité est liée à la proportion d'UV qui va en augmentant, où la lumière est diffuse car souvent l'air contient de la vapeur d'eau. Le soleil joue pratiquement le même rôle que le micro-ondes que nous utilisons dans nos cuisines : il réchauffe très vite et fane la végétation. Et, même si les plantes de montagne sont dotées d'une très grande capacité d'absorption des radiations solaires, gare aux excès tout de même!
Le vent :
Le rôle du vent comme facteur de répartition des végétaux en montagne est déterminant, même s'il nous semble moindre comparativement aux autres éléments climatiques.
Son action ravageuse est sa fonction de disseccation, principalement en hiver, qui ne manque pas de provoquer une transpiration accrue, notamment chez les plantes non protégées par la neige, au moment où, justement, ces dernières n'ont plus de grandes capacités de puiser l'eau du sol pour cause de gel, et donc pouvoir ainsi se réhydrater. Là où le vent n'arrête pas de balayer la neige, il devient sélectionneur d'espèces, ne laissant survivre que les plus résistantes : les plantes xérophytes, par exemple, n'ont pas nécessairement besoin d'un grand apport d'eau comme l'alysse des montagnes - allysum montanum-.
Le vent, par sa violence, provoque aussi des dégâts irrémédiables aux arbres et autres arbustes en les brisant et parfois même en les déracinant. D'ailleurs aux endroits où les buissons prolifèrent, nous remarquerons que leur port bas, leur souplesse, leur rusticité leur permettent de résister aux attaques du vent.
Ceci dit, le vent a néanmoins une action positive sur les plantes : il participe à la bonne répartition du couvert végétal en transportant les graines, et joue son rôle, à l'état de brise, dans la pollinisation.
La force des éléments peut venir à bout d'arbres fortement enracinés
La température :
Les variations de température en montagne sont implacables et connues de tous les montagnards, des randonneurs et des professionnels. Lorsque nous entamons de monter de la plaine vers les sommets, la température diminue avec l'altitude et ce de façon régulière.
En plaine, l'atmosphère est très dense, densité accentuée par des impuretés diverses ( pollutions, poussières, ...), ce qui permet à la chaleur d'être "emprisonnée" par cette chape invisible, créant un "effet de serre", qui maintient la température relativement élevée.
En montagne, c'est le contraire qui se produit : l'air pur et moins dense, laisse irradier la chaleur, lorsque notamment l'ombre succède au soleil. La chute de température est alors brutale. Pour résumer en simplifiant, disons qu'à l'ombre il fait moins chaud en montagne qu'en plaine, alors qu'au soleil c'est le contraire.
Tableau réalisé sur la base des travaux de Frankland | |||
Niveau | Alt. 2980 m | Alt. 1800 m | Plaine |
Au soleil | 53.5° C | 44° C | 37.8° C |
À l'ombre | 6° C | 26.5° C | 32.7° C |
Différence | 47.5° C | 17.5° C | 5.1° C |
L'exposition :
Le dernier facteur qui participe à régir la vie végétale en montagne est l'exposition. Dans les plaines, la température convenable et les milieux exposés vers le Sud sont propices au développement des plantes. En montagne, l'air est froid et la différence de thermomètre est très forte entre les deux versants ( celui exposé au soleil et le versant à l'ombre ). L'adret, ensoleillé, offre un aspect complètement différent de celui qui lui fait face : l'ubac ombragé. Et, à y regarder de plus près, nous remarquerons ainsi des espèces dont la croissance se fait grâce à une exposition déterminée.
L'inclinaison du versant compte aussi car les différents reliefs et les variations de pente peuvent favoriser, ou non, l'exposition.
L'adret fait face à l'ubac
AVERTISSEMENT:
La valeur scientifique de cet article est toute relative. Il est rédigé seulement dans le but de permettre à tout un chacun de comprendre un peu mieux la montagne.
Bibliographie:
1- Francesco Bianchini- traduction d'Agnès Doniol-Asso - Flore Alpine ( le petit guide ) - Hachette1967
2- Chaumont et Paquin, carte pluviométrique de l'Algérie au 1/500 000 - Université d'Alger 1971
3- Josias Braun-Blanquet, La Végétation de l'étage alpin des Pyrénées orientales comparée à celle des Alpes (El noticiero, Saragosse, 1950).
4- R. Lespès, Le climat de la Kabylie du Djurdjura, 1909.
5- Frankland et Gregory, Changement climatique, moisissures aéroportées et risques sanitaires associés, document.
* Le Foehn, phénomène atmosphérique naturel de montagne. C'est aussi le titre d'une oeuvre théâtrale de Mouloud Mammeri : « Le Foehn ou la preuve par neuf », Paris, PubliSud,1982. (link)
Photos: Brahim ZAHI
Le 10/12/2011
Les zones de végétation en montagne. (2) - Amis du Djurdjura
Il n'est pas facile de fixer avec précision les limites des zones de végétation en montagne, mais, à force d'observation et de recueil de données, on peut déjà constater, de loin, qu'à part...
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