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Ǧeṛǧeṛ

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Tahar Djaout est une blessure qui ne peut pas guérir

Publié par Rachid n'Ait Kaci sur 26 Mai 2025, 11:48am

Catégories : #Communication, #LibrOpinion, #Amis de la Nature, #Portraits

Des fantômes qui me poursuivent ? Il y en a beaucoup. Tellement, en fait, que j’ai appris à vivre avec eux. Ils ne me dérangent plus. Mais le fantôme de Tahar, lui, ne me laisse pas en paix. Il me hante, me tourmente et m'interroge tous les jours.

J’ai découvert Tahar Djaout à l’adolescence, grâce à mon frère… Tahar. Il lui vouait une admiration sans bornes. Djaout faisait partie de ceux qui nous avaient ouvert les yeux, élargi l’esprit. Nous ne manquions jamais ses chroniques hebdomadaires. Nous étions des lecteurs assidus, fidèles à chacun de ses romans, de ses poèmes, de ses essais. Rien de ce qu’il écrivait n’échappait à notre curiosité.

C’est lui qui nous avait conduits sur les traces de son enfance à Oulkhou, des traces dans lesquelles nous nous reconnaissions profondément. C’est grâce à lui que nous avons découvert les phares jalonnant la côte algérienne, les îlots de verdure du Grand Alger. C’est lui encore qui nous a révélé l’immense Mohammed Dib, l’incontournable Kateb Yacine, et surtout Khair-Eddine, l'unique - pour ne citer qu’eux.

Tahar Djaout, ce scientifique de formation, était un homme de lettres, de culture, un humaniste authentique. Il a grandement contribué à notre éducation et à notre éveil politique.

Le mercredi 12 mai 1993, alors que je franchissais la porte de la librairie du Parti, je l’aperçois en train de descendre l’escalier. Nos regards se croisent. Je le salue d'un signe de tête. Il me répond par un large sourire, lumineux. Angélique. Ma pudeur m’empêche d’aller vers lui. Je le regretterai toute ma vie. Ce fut notre seule et unique « rencontre ».

Le mercredi 26 mai 1993, alors que nous nous apprêtions à partir au travail, ma femme, enceinte de notre premier enfant*, ressent des douleurs. Elle perdait les eaux. Je l’emmène en urgence à la clinique Durando de Bab-El-Oued. Après les premières consultations, on nous fait patienter dans un couloir du premier étage. Toutes les chambres sont pleines. Des matelas jonchent le sol. Des femmes presque nues gémissent de douleur. La scène est saisissante.

Sous le choc, je redescends et consulte instinctivement la liste des médecins de garde. Un nom attire mon attention : H. Rabah, un interne originaire de ma région, qui deviendra plus tard un gynécologue renommé chez nous. Je demande à ce qu’on le fasse venir. Il arrive en courant. Je me présente, il ne me connaît pas. Je lui explique la situation. Il me rassure :
- Écoute, je m’occupe de tout. Ne t’inquiète pas, me dit-il.

Soulagé, je quitte la clinique.

Sur le chemin du retour, j’allume la radio. Un flash spécial interrompt la programmation : attentat contre Tahar Djaout à Baïnem. Des inconnus lui ont tiré une ou deux balles dans la tête (je ne me rappelle plus), - cette tête qui pensait, qui écrivait, qui résistait - alors qu’il se préparait à rejoindre son journal.

Je fais immédiatement demi-tour. Pas le coeur à me rendre à mon boulot. Je rentre chez moi.

* Pour Cyria, à l'occasion de son anniversaire

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