Je reviens d'une randonnée, et dans ma tête des images, un triste tableau.
- Un joyau de la couronne.
"D izurar ghef idurar", titre Aït-Menguellet une de ses chansons dédiée aux villages kabyles. Une montagne ceinte de perles, serais-je tenté de rajouter.
Il était une fois le village de Haïzer ( Taqatt n At-Meddur pour les intimes ). C'était comme un joyau d'une couronne urbanistique en devenir autour du Djurdjura. Sur la route de Tikjda, existait dans les années 70 une ville-étape apaisante pour le voyageur. Et l'on ne pouvait faire autrement que s'y arrêter le temps de marquer une pause après un long trajet, pour faire quelques emplettes complémentaires, avant de s'attaquer à la montagne, ou tout simplement pour admirer les magnifiques sommets mythiques du versant Sud du Djurdjura ( Tajgagalt, Tanagut...), comme pour sen mettre plein les yeux avant d'aller les toucher et les escalader de plus près.
Cette bourgade qui n'est plus un village, mais qui n'est pas encore une ville, non plus, érigée en chef-lieu de Daïra depuis plus d'une vingtaine d'années, n'est plus qu'une cité sans âme, triste et sale qui peine à relever la tête. Jusqu'à à se demander parfois si ceux qui y vivent aujourd'hui sont les mêmes qu'il y a 30 ans. Dans tous les cas, il est légitime de chercher à savoir ce que sont devenus les enfants de Haïzer et comment en sont-ils arrivés à vivre dans de telles conditions, au milieu des immondices, sans que cela n'éveille leur conscience. De quelle façon les habitants de cette ex-charmante cité passent-ils leurs journées? Ont-ils le temps de regarder autour d'eux ou bien sont-ils atteints par une cécité sélective qui les fait écarquiller des yeux, la tête dans les nuages, devant tant de beauté majestueuse du mont Haïzer enneigé, tout en ayant les pieds qui pataugent dans les détritus?
Entrée Est de Haïzer, sur la route de Tikjda.
- Poussières d'été et boues hivernales.
En déambulant dans ce qui semble être des rues. En traversant les pâtés de maisons de part et d'autre de la route principale, on est agressé par l'état des lieux à seulement trois lieues du
splendide Djurdjura. Sachets et ordures occupent royalement les trottoirs et les terrains vagues que devraient normalement se partager les nombreux quartiers, une fois aménagés en squares et
aires de jeux pour les enfants. En hiver, ces espaces sont boueux, et, l'été venu, la boue se transforme en poussière qu'emporte le vent jusqu'à l'intérieur des maisons. Une situation semblable à
celle des villes des hauts plateaux algériens.
Le décor est planté sur la route principale par où passent des milliers de visiteurs
- Une ville-étape, sur la route de Tala-Guilef.
En contournant la montagne par Draâ-El-Mizan, on finit naturellement par arriver à Boghni, 14 km plus loin. Cette dernière n'est guère plus présentable que la première citée. Qui se souvient du Boghni de naguère? Si je vous en parle, ce n'est pas au nom de la nostalgie, mais plutôt au nom des espoirs déçus, voire des regrets : en 2012, la logique et le bon sens auraient voulu que les travaux d'aménagement, les travaux d'embellissement et le comportement civique des citoyens, fassent du Boghni d'aujourd'hui une ville accueillante et bien dans ses murs, parce que cette ville fut réellement propre et agréable à visiter : des filets d'eau circulaient calmement dans ses venelles et ruelles, et pas un gramme de poussière ne venait vous faire éternuer. Boghni était, elle aussi, avec une salle de cinéma, un jardin public, un petit hôtel, son hôpital à dimension humaine, son stade et son marché hebdomadaire connu partout en Algérie, une ville-étape sur la route de Tala-Guilef, l'autre site abandonné dont il faudra parler un jour.
Depuis, des immeubles hideux ont poussé dans tous les sens, défigurant une harmonie et des lignes qu'il lui sera compliqué de retrouver. Des tourbillons de poussière vous harponnent dès que vous y mettez les pieds et ne vous lâchent plus jusqu'à ce que vous en soyez partis. La seule rivière qui traverse les habitations, qui arrive tout droit des Aït-Koufi, est dans un état lamentable à vous faire regretter d'être passé par là. La chaussée cahoteuse, les trottoirs défoncés, les façades des maisons ternes et sans couleurs...
- Et s'il était possible de changer?
Oui, il est vital de nous secouer! Personne ne pourra me convaincre que mettre de l'ordre et redonner de la propreté est une question de moyens. Nul ne réussira à me persuader que
prendre soin de l'environnement dans lequel nous vivons n'est que préoccupation secondaire. En fait, ce sont seulement des choix à trancher courageusement et à assumer quand on pense au
fond de soi-même, avec une forte conviction, qu'on est une société de culture. La culture, au sens sociologique du terme, est la capacité que peut avoir un groupe social de penser et
d'agir. N'y a-t-il pas contradiction quelque part?
Et si pour commencer, nous organisions tous ensemble comme nous le faisons dans nos maisons deux grands ménages par an : Un ménage d'automne, le premier week-end d'octobre, pour nettoyer nos villes et villages des salissures estivales, et un ménage de printemps, le premier week-end d'avril, pour les préparer à l'accueil des estivants. Ne serait-ce pas déjà instaurer une belle tradition?
À l'entrée d'une cité, pas loin du centre ville.
PS : Ce constat est malheureusement le même dans presque toutes les petites villes autour du Djurdjura, et partout ailleurs dans notre pays.
Alger, le 1 mai 2012.
Correspondance particulière.